Mémoire vive d’Oliver Laric, quand le contemporain s’invite au Musée de la Romanité.
2023 marque l’année d’un anniversaire important : celui du Carré d’Art inauguré il y a 30 ans. Le musée d’art contemporain de la ville de Nîmes est un lieu de vie et de création artistique. Au cours de ces trente ans, un grand nombre de visiteurs ont bénéficié d’un accès privilégié à des œuvres d’art contemporaines produites par différents artistes.
Pour fêter cet anniversaire, le Musée de la Romanité a décidé de proposer cette année une exposition mêlant art contemporain et archéologie. C’est l’artiste autrichien Oliver Laric qui a été choisi à cette occasion. Il a sélectionné des œuvres qui l’inspiraient et les a utiliser pour en créer des réinterprétations, avec une nouvelle fonction, une nouvelle valeur.
Le parcours de l’artiste Oliver Laric
Oliver Laric est né à Innsbruck (Autriche) en 1981. Diplômé de l’Université des Arts appliqués de Vienne, il s’illustre dans le courant artistique dit « post-internet » depuis 2006.
Ce mouvement est né dans les années 2000 avec la démocratisation d’internet et la naissance des réseaux sociaux. Le web devient alors un mode d’accès privilégié et potentiellement illimité à l’art et aux connaissances.
Si au départ son travail est virtuel, à partir des années 2010 Oliver Laric crée aussi des œuvres matérielles. Grâce au scan 3D, il réalise notamment des copies numériques d’œuvres historiques, issues de musées ou de collections privées, pour ensuite les réinterpréter, les remixer et les imprimer.
L’arrivée des nouvelles technologies digitales (photographie numérique, vidéo, numérisation, impression 3D) remet ainsi en question le caractère unique de l’œuvre d’art avec une possibilité de reproduction à l’infini. Oliver Laric interroge aussi la notion de propriété intellectuelle en mettant à disposition certains de ses modèles digitaux en Open Source sur sa plateforme threedscans.com.
Tout le monde peut donc les télécharger, les retravailler, les répliquer en toute indépendance.
Oliver Laric, sa démarche et l’art post-internet
La notion d’hybridité chez Oliver Laric est l’inverse de celle de l’Antiquité où l’homme civilisé se définit en opposition à l’univers barbare et dangereux des créatures hybrides qui peuplent la mythologie.
Il chérit tout particulièrement le sujet de la relation humain-animal, qui peut prendre différentes formes et utilise différentes techniques pour élaborer ses modèles en 3D.
L’hybridité au coeur de son travail
Lorsqu’on se balade parmi les oeuvres de l’exposition, on s’aperçoit que la relation humain-animal et la thématique de l’hybridité reviennent souvent.
On peut observer Cupidon jouant avec un chien et Neptune avec son dauphin ou encore Hermanubis ou la statuette de Pan et Bacchus.
Oliver Laric cherche à démontrer que l’existence se décline en possibilités infinies et qu’il n’existe pas seulement deux conditions qui s’opposent : humain ou animal, tout comme on n’est pas homme ou femme avec Hermaphrodite et qu’il y a, au contraire, de nombreuses manières d’être humain, animal, homme, femme, qui s’entrecroisent et se mélangent.
Travailler avec des personnages hybrides permet donc à Oliver Laric d’évoquer sa vision fluide de l’existence et d’abolir les frontières.
Le choix de la réinterprétation de la statue d’Hermanubis est un clin d’oeil au Musée de la Romanité puisqu’elle avait déjà été exposée dans le cadre de l’exposition Pompéi en 2019.
La sculpture selon Oliver Laric
Oliver Laric utilise la technique de la photogrammétrie. Il s’agit de prendre des photos d’un objet avec un appareil quelconque (téléphone, appareil photo etc…) sous plusieurs points de vue différents. Ensuite, il entre les images dans un logiciel et c’est un algorithme qui va reconnaitre tous les pixels homologues dans les images.
Il associe toutes les images entre elles et il élabore le modèle en 3D.
Suite à cette première étape, il effectue un travail de post-production sur les fichiers imprimés. Il va pouvoir modifier les proportions, régler la lumière, créer de nouvelles formes, ajouter des parties à la sculpture et ainsi de suite. Enfin, il pourra imprimer la statue avec une imprimante 3D.
Pour ce faire, il peut utiliser des matières différentes… du polyuréthane, de la résine, de l’aluminium, de la poudre de verre, du nylon etc…
En revanche, son travail est bien différent par rapport à celui d’un sculpteur dans l’antiquité.
Le sculpteur grec enlève de la matière en sculptant son bloc alors qu’avec une imprimante 3D Oliver rajoute couche par couche de la matière.
De plus, dans l’antiquité, le sculpteur était souvent confronté à la difficulté de sculpter des pierres différentes avec de multiples qualités de marbre ou de calcaire existants, certains plus faciles et malléables que d’autres.
La copie VS l’original
On considère souvent qu’une œuvre d’art a d’autant plus de valeur qu’elle est unique. Mais cette vision des choses est plus récente qu’on ne le pense.
La copie chez les Romains
Les œuvres d’art, et notamment les statues, sont très présentes chez les Romains, que ce soit dans l’espace public ou dans les riches maisons privées. Or, on se rend compte que certains modèles sont de véritables séries, tel l’Enfant au chien, dont on connait 5 copies et sur lequel a travaillé Oliver Laric.
De nombreuses statues romaines sont d’inspiration grecque. En effet, après avoir conquis la Grèce, les Romains rapportent avec eux de nombreuses œuvres d’art. Ils sont tellement friands d’art grec qu’ils vont énormément le copier, mais avec des adaptations et des variations selon la période, les envies, les techniques ou encore les matériaux utilisés.
Or, pour les Romains, la copie n’a pas forcément moins de valeur que l’original. Elle peut être tout aussi travaillée et donc appréciée. Si elle n’invente pas, elle fait connaître et vivre son modèle.
C’est seulement à la Renaissance que le fait d’être l’original, d’être rare aussi, va devenir un critère essentiel pour juger une œuvre d’art, qui se doit d’être « authentique ».
La copie dans l’oeuvre de Laric
Oliver Laric remet en question l’idée qu’une œuvre d’art doit être rare et authentique. Pour lui, copier une œuvre n’amoindrit pas son prestige, au contraire : cela permet de la rendre davantage célèbre.
Il considère que l’émotion que l’on peut ressentir en observant une œuvre peut tout à fait naître face à une copie ou une représentation. Ce qui fait l’intérêt d’une œuvre réside dans ce qu’elle incarne, ce qu’elle nous raconte, ce qu’elle nous fait ressentir.
De plus, une œuvre n’est jamais créée à partir de rien. Oliver Laric n’adhère pas à l’idée du génie donnant naissance à une œuvre singulière, distincte de tout ce qui a été fait avant. Au contraire, la création artistique s’inscrit dans une continuité : une œuvre est le fruit de ce qui la précède et de ce qui l’entoure puisque les êtres humains et leurs idées sont interconnectés.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Oliver Laric aime créer des œuvres en série. Les copies et la création en série mettent en lumière ces liens, et permettent de comparer et de faire dialoguer les différentes versions.
De la même manière, il aime que d’autres s’emparent de son travail pour le faire évoluer au travers de nouvelles créations.