Écrivons l’Histoire : quand l’E2C de Nîmes redonne vie aux stèles gallo-romaines
Durant près de deux mois, le Musée de la Romanité a travaillé avec une promo de l’Ecole de la Deuxième Chance de Nîmes sur un projet inédit, visant à découvrir l’épigraphie et à mettre en valeur notre importante collection de stèles funéraires gallo-romaines. Ce projet a aussi permis aux jeunes d’exprimer pleinement leur imagination et leur créativité. Le titre choisit pour ce projet, Écrivons l’histoire, évoque d’ailleurs ces deux objectifs : inventer des récits imaginaires avec comme protagonistes les personnes dont la mémoire est mentionnée sur nos stèles funéraires, tout en s’efforçant de coller au contexte de l’époque, et notamment aux modes de vie de la société gallo-romaine, découvert par les jeunes lors de leur venue au musée et approfondie en classe durant tout le projet.
Retour en détail sur ce projet, mené avec Bilal ATTOUMANE, Justeen BLANES, Daniela COSTA FIGUEIREDO, Chaïma DAOUDI, Iboun-Koussoy HALIDI, Chloé LEFEBVRE, Romain MELLET, Andjibou MZE, Loane PAYET, élèves à l’E2C de Nîmes.
Les E2C
Les Écoles de la Deuxième Chance (E2C) sont des structures qui accueillent des jeunes entre 16 et 25 ans déscolarisés afin de leur permettre de définir un projet professionnel et de suivre des stages et formations. Elles les accompagnent tout du long de leur parcours, en leur proposant aussi des activités diverses et variées, dont un volet culturel, leur permettant de développer de nouvelles compétences pour leur vie future, et aussi tout simplement de prendre confiance en eux et en leurs capacités. Yoan et Marc, respectivement formateur en Informatique et multimédia et formateur en français à l’E2C de Nîmes, ont notamment travaillé de façon conjointe avec le Musée pour créer ce projet et accompagner les jeunes durant ces deux mois.
Découverte de l’épigraphie et des stèles gallo-romaines au musée
Dans un premier temps, les jeunes de l’E2C sont venus au Musée de la Romanité pour s’intéresser de plus près à l’épigraphie, une discipline scientifique permettant d’étudier des inscriptions réalisées par la main humaine, sur tous supports : pierre bien entendu, mais aussi verre, céramique, ivoire, os, bois, mosaïque, etc. Nous nous sommes notamment recentrés autour de la vaste collection de stèles gallo-romaines présentées à l’étage du musée, et datant pour la plupart du Ier et IIème siècle après notre ère.
Ce type de monument funéraire, ancêtre de notre pierre tombale actuelle, mettait en avant une personne, son statut ou sa réussite professionnelle, tout en permettant à ses descendants de perpétuer sa mémoire. Différentes informations peuvent figurer sur une stèle funéraire : le nom du défunt, son âge au moment de son décès, le nom des personnes qui ont fait réaliser la stèle, le métier ou les postes occupés par la personne de son vivant, etc. En ayant appris à décrypter ces traces laissées par les anciens habitants de la ville de Nîmes, nos apprentis épigraphistes ont réalisé que ce type de monument funéraire constituait un excellent témoignage sur l’organisation de la société gallo-romaine à cette époque.
En petits groupes, ils ont ensuite pu remplir un livret-jeu leur permettant de découvrir plus en détail quinze personnes mentionnées sur les stèles : esclave, gladiateur, soldat, artisan, prêtresse, et bien d’autres encore. Ce livret leur a également permis de comprendre, avec émotion parfois, les liens humains et sociaux évoqués sur ces stèles, comme celui d’une mère, Lucina, ayant financé la stèle de sa fille de trois ans ou celui d’un fils, Cosmus, rendant hommage à sa « très douce mère ». Cette immersion leur a servi de point de départ à un travail plus poussé : les jeunes ont chacun sélectionné différents personnages évoqués sur ces stèles. À l’aide de cette matière, ils ont imaginé un texte fictif à la première personne, évoquant un moment émouvant, drôle ou encore dramatique qui aurait pu ponctuer la vie de ces anciens habitants de Nîmes, tout en conservant certaines données avérées, telles que l’identité de la personne concernée, son métier, son statut social, etc.
Un long travail en atelier
Après la découverte des collections du musée, les jeunes de l’E2C ont donc entamé la deuxième phase du projet : le travail d’écriture. Au cours de plusieurs ateliers réalisés au sein de l’école, chacun a pris la plume pour imaginer des morceaux de vie des Gallo-Romains évoqués sur nos stèles. Nos jeunes écrivains étaient libres dans leur choix : inventer le dernier combat du gladiateur, imaginer un amour interdit entre un plébéien et une patricienne de la haute société, écrire la mort quelque peu pathétique d’un soldat… À partir de quelques inscriptions gravées dans la pierre, les jeunes ont réussi à imaginer de véritables fragments de quotidien autour d’un personnage. Chacun a pu rédiger plusieurs textes, explorant les destins de différents personnages, s’essayant à des situations plus diverses les unes que les autres. Ces ateliers furent d’excellentes occasions pour eux de s’essayer à l’écriture, de comprendre comment structurer un récit et adopter un point de vue narratif, mais aussi tout simplement d’exprimer leurs idées et leur sensibilité.
Les jeunes de l’E2C ont ensuite pu travailler l’oralisation de leurs récits. L’objectif : donner voix à leurs personnages en les interprétants. Munis de micros et de leur téléphone portable, ils se sont enregistrés en lisant leurs histoires, non pas comme de simples lecteurs, mais comme s’ils étaient eux-mêmes leurs personnages, en mettant le ton, l’intention, et de l’émotion dans la voix. Ils ont pu incarner un rôle et aller au-delà du simple texte écrit, en transmettant à tous une histoire qui se veut plus vivante. Afin de compléter l’ensemble de leur travail, la promo a ensuite souhaité illustrer les récits. Les jeunes ont alors à nouveau imaginé, dessiné et parfois même peint leurs personnages, donnant ainsi un visage et une identité à ces figures directement issues de l’Antiquité.
En addition à ce travail de création, nous souhaitions que nos apprentis épigraphistes restent néanmoins au plus près de la réalité historique sur leurs textes et leurs dessins. Ils se sont appuyés pour cela sur de nombreuses ressources : de multiples échanges avec une médiatrice du musée, des recherches documentaires sur Internet, une observation attentive des vêtements, des objets et des modes de vie de l’époque gallo-romaine sur des mosaïques ou fresques, etc. L’ensemble de ce travail d’illustration a été l’occasion de mêler rigueur historique et créativité artistique, pour aboutir à des productions riches, sensibles et documentées.
La finalité du projet : le livret
Pour clore ce travail ambitieux, les jeunes de l’E2C ont entrepris une dernière étape tout aussi essentielle : la création d’un livret numérique, accessible à tous depuis le site Internet du musée. Véritable aboutissement de plusieurs semaines de recherches, d’écriture et de création, ce livret a pour vocation de mettre en valeur le travail collectif réalisé autour des stèles gallo-romaines.
Grâce à un logiciel de mise en page adapté, ils ont eux-mêmes conçu la présentation de ce livret : mise en page des textes, insertion des illustrations, mise en forme des enregistrements, etc. Tout ce travail permet désormais à chaque curieux qui le souhaite de naviguer d’une œuvre à l’autre, en découvrant à chaque fois des fragments de vie que les jeunes ont redonnés à ces habitants de la Nîmes antique.
Un projet collectif, créatif et profondément humain
Ce projet a représenté pour les jeunes de l’E2C un véritable défi, mais aussi une formidable aventure collective. De la découverte des stèles à la rédaction des récits, de l’oralisation à la mise en page numérique, ils ont fait preuve d’un engagement exemplaire, d’une grande curiosité et d’une réelle sensibilité artistique. Chacun, à sa manière, a contribué à faire revivre une part de l’histoire nîmoise, en mêlant rigueur historique et imagination poétique. Au fil des semaines, ces apprentis épigraphistes sont devenus conteurs, artistes, comédiens et éditeurs.
Leur travail témoigne d’une implication sincère et permet désormais aux visiteurs du musée de se promener parmi la collection de stèles d’une manière nouvelle. Il ne s’agit plus seulement de lire des inscriptions gravées dans la pierre, mais bien d’entendre les voix qu’elles portent encore, celles de femmes, d’hommes et d’enfants dont les destins ont été réinventés avec sensibilité. Grâce au regard des jeunes, ces monuments funéraires deviennent des fenêtres ouvertes sur l’intime, sur les émotions et les liens humains qui traversent les siècles. Une belle manière de prouver que l’histoire, loin d’être figée dans la pierre, peut encore inspirer et faire vibrer ceux qui la découvrent.
L’équipe du musée félicite sincèrement les jeunes de l’E2C de Nîmes, sans qui ce projet n’aurait jamais pu voir le jour : Bilal, Justeen, Daniela, Chaïma, Iboun-Koussoy, Chloé, Romain, Andjibou, et Loane. Nous remercions aussi l’ensemble de l’équipe de l’E2C de Nîmes pour avoir accepté de participer à ce projet en partenariat avec le musée, et en particulier Yoan et Marc, formateurs, pour leur aide et leur implication auprès des jeunes dans cette grande aventure.
Comment se servir de ce livret ?
Chaque visiteur peut trouver le livret issu de ce projet à télécharger à la suite de cet article. Celui-ci peut-être parcouru de deux manières différentes :
- En dehors du musée, en associant les récits, dessins et audios aux différentes stèles se trouvant en photo sur le livret. Plusieurs QR code sur le livret permettent d’accéder aux audios enregistrés.
- Au sein même du Musée de la Romanité, en se rendant devant chacune des stèles correspondantes. Le livret peut être imprimé avant de venir au musée, et les audios restent accessibles grâce à plusieurs QR code ajoutés dans le livret.